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SUZURIBAKO PAVILLON DANS LA MONTAGNE

Référence : 2025-1380

Suzuribako ou boite à écrire de forme rectangulaire à décor d’une imposante architecture (hira maki-e), probablement palatiale, au bord d’une cascade et d’une rivière de montagne. Sur son couvercle seulement, cette pièce regroupe différentes techniques de laques qui en font un excellent exemple de la maitrise et de la polyvalence des maîtres laqueurs de la fin de l’ère Edo. Tout d’abord un fond de nashiji est appliqué sur l’ensemble de la pièce, cette technique consiste à inclure dans la laque fraiche une fine poudre métallique, composée en partie variable d’or et d’argent notamment. Ensuite, de nombreuses couches sont ajoutées afin de créer des motifs, chacune entre-coupée d’un temps de séchage et de ponçage afin de garantir une texture parfaitement lisse. En adéquation avec la technique du takamaki-e, les volumes sont créés à partir de charbon de bois ou d’argile qui sont ensuite laqué afin de créer ce fort écart de niveau dans la composition et ce dans un souci de réalisme. Le décor en lui-même couvre toute la pièce, se poursuivant du couvercle à chacun des côtés. Il se décline en une variation subtile allant de l’usage du kirigane sur toute la pièce à celle du raden pour souligner un point de détail. Dans le premier cas c’est une multitude de paillette d’or de tailles et de formes variées qui sont utilisées pour suggérer la texture granuleuse des roches karstique de la montagne et celle de l’écorce du pin et du cèdre. Plus haut la même technique, cette fois à dominante d’argent et d’étain, est utilisée afin de transcrire la lourdeur des nuages, et ce jusque dans le registre supérieur ou ils deviennent omniprésents. Enfin la technique du raden est utilisée à trois reprises afin de représenter des fleurs de pêcher à l’aide de pièces sculptés dans du corail couleur peau d’ange. Le pêcher revêt une symbolique singulière au japon, ils sont largement célébrés lors du festival annuel « Hanami », où les gens se rassemblent pour admirer et célébrer la beauté des fleurs de pêcher et de cerisier en fleurs. La fleur « Momo » est célébrée comme marqueur de l’arrivée du printemps et symbolise le renouveau, la jeunesse et la pureté, comme la fleur de cerisier, elle est souvent utilisée pour représenter la fugacité de la vie incarnée par la beauté transitoire de la nature.
A l’intérieur de cette boite à écrire se décline un tout autre registre, elle contient un suiteki (godet à eau) ainsi que la pierre à encre qui a été laquée toutes faces de nashiji. Ces éléments sont encadrés d’une maison plus modeste, d’un pin et deux cèdres. Sur la face intérieure du couvercle s’étend un décor plus riche qui égalerait presque le couvercle s’il ne représentait pas à nouveau de simples maisons de pécheurs ou de fermiers. Toutefois la qualité du décor se ressent dans l’harmonie de la scène, les deux maisons sont traitées avec un grand réalisme, on peut percevoir les nervures du bois utilisé pour le bardage, les brins de paille de riz du chaume sur les toits et même le noren (sorte de rideau de porte utilisé au japon) semble entrouvert en signe de bienvenue. De part et d’autre de cette architecture de nombreux arbres à la symbolique dense sont représentés.
Tout d’abord le saule (salix japonica) positionné entre les deux maisons, est reconnu pour sa capacité à pousser dans des conditions difficiles. Ses racines profondes sont capables d’absorber l’eau et les nutriments de la terre, cette résilience et cette vitalité sont considérées comme des qualités pouvant entraîner une guérison physique et émotionnelle. Dans le folklore japonais, s’asseoir sous un saule peut apporter la bonne fortune et rajeunir le corps et l’esprit. On pense également que les branches délicates et minces du saule incarnent l’esthétique du wabi-sabi, une philosophie japonaise centrée sur la recherche de la beauté dans l’imperfection et la fugacité.
Le cèdre, ou sugi, est un arbre vénéré au Japon. Il est souvent planté autour des temples et des sanctuaires, soit pour symboliser la protection et la purification soit pour des raisons pratiques. Le cèdre étant un bois d’ouvrage particulièrement apprécié dans toutes sortes de travaux au Japon. Dans la mythologie japonaise, il est considéré comme un lien entre le monde terrestre et le monde divin. Sa présence est censée éloigner les mauvais esprits et apporter prospérité et chance.
Le pin, ou matsu, est un autre arbre chargé de symboles, son impressionnante longévité et sa résistance face aux intempéries en font un symbole de force et de persévérance. Les pins sont aussi souvent plantés près des sanctuaires et des temples pour symboliser la protection et la sagesse. Leur silhouette caractéristique, avec leurs branches tortueuses, évoque également la beauté de l’imperfection et la capacité à surmonter les obstacles de la vie.
Enfin le cerisier ou sakura, est sans doute l’arbre le plus emblématique du Japon. Tout comme le pécher il est célébré lors de la traditionnelle fête d’hanami. La floraison spectaculaire des cerisiers est considérée comme un symbole de beauté éphémère et de renouveau. Les Japonais voient dans cette fragilité une leçon de vie : la beauté est éphémère, il faut donc en profiter pleinement tant qu’elle est là.
Bien qu’à peine visible derrière la maison en premier plan, deux autres cerisiers sont présents dans le second registre, semblant s’accrocher difficilement sur la roche karstique d’une montagne embrumée. Dans la partie supérieure nous distinguons une pleine lune traitée avec un mélange savant d’oxydes métalliques dont seuls les maitres laqueurs ont le secret. Elle semble se refléter dans les roches et les nuages et faire écho aux nuées d’argent, d’or et d’étain qui nimbent les volumes afin de suggérer la brume épaisse qui entoure les rives des rivières au début du printemps.
Le travail extraordinaire d’urushi maki-e se ressent par l’usage d’une grande diversité de techniques de laques différentes utilisées en adéquation avec la forte valeur symbolique du sujet. Toutes ces raisons font de cette pièce unique un remarquable exemple de la maitrise technique, du savoir-faire ainsi que de la sensibilité artistique, quasi naturaliste des artisans japonais de la fin de l’ère d’Edo.

Japon – Edo (1603-1868)
Longueur : 22.5 cm – Largeur : 20 cm – Hauteur : 4.5 cm